Créer la confiance dans l’affichage environnemental : la nécessaire transparence technique et politique
L’alimentation : un enjeu majeur pour la biodiversité
Les lois anti-gaspillage pour une économie circulaire du 10 février 2020 (dite loi AGEC) et Climat et Résilience du 22 août 2021 définissent l’affichage environnemental et prévoient une expérimentation pour le développer, notamment dans le secteur alimentaire.
Dans ce cadre, plusieurs initiatives privées ont vu le jour dont l’Ecoscore et le Planet-Score.
Les enjeux environnementaux de l’alimentation sont MAJEURS. Ils sont aussi SPECIFIQUES. Il y a bien sûr, le sujet de l’emballage plastique, avec la pollution des océans qui en découle. Il y a l’enjeu du climat, puisque 30% de l’empreinte climat de chaque français est due à son alimentation. Mais il y a également l’enjeu majeur de la biodiversité. Depuis des millénaires, nos forêts tempérées ont été transformées en terres cultivées et en prairies : l’éco-zone couverte aujourd’hui par la ville de Paris s’appelle ‘Atlantic Forest’ pour nous rappeler qu’elle était à l’origine une forêt. C’est ainsi que l’agriculture contribue à 70% à la pression exercée sur la biodiversité par les humains [1].
L’affichage environnemental se doit de prendre en compte les dernières connaissances scientifiques
Concernant les émissions de dioxide de carbone par exemple, il est possible de quantifier l’impact des processus industriels, du chauffage des serres, de l’utilisation de machinerie agricole ou du transport par avion.
Il subsiste cependant un certain nombre de controverses nécessitant des choix de valeur
Une des controverses majeures concerne les modalités d’utilisation des terres en agriculture. Deux visions s’opposent : une vision techniciste d’intensification durable, et une vision agroécologique. La première prône une utilisation intensive des terres, avec des rendements maximaux, intensive en intrants (engrais de synthèse et produits phytosanitaires), permettant (en théorie) de préserver des espaces intacts pour la biodiversité : c’est la vision du « land sparing » (épargne des terres utilisées au profit des hommes) du scénario EAT Lancet [2]. La seconde prône une utilisation plus extensive, à rendement moindre, utilisant moins d’intrants (pas d’engrais de synthèse et peu de produits phytosanitaires) permettant le partage des terres avec un nombres plus importants d’espèces sauvages : c’est la vision du « land sharing » (partage des terres avec les espèces sauvages) ; cette seconde vision est celle de l’agroécologie du scénario TYFA (Ten Years for Agroécologie de l’IDDRI) [3].
Un rapport récent de l’IDDRI [4] souligne avec raison que le choix entre ces deux visions est scientifiquement controversé. Ce doit être un choix de valeur, un choix Politique, au sens noble du terme. Vers quelle consommation souhaite-t-on orienter le consommateur ? Souhaite-t-on l’inciter à consommer des produits alimentaires issus de l’agriculture intensive ou de l’agroécologie ? En fonction de cette orientation, le dispositif d’affichage environnemental est différent, et les choix méthodologiques le sont aussi.
Certains dispositifs privés affichent clairement leur choix: c’est le cas du Planet-Score, et sa « boussole » agroécologique. L’écoscore, quant à lui, relève de l’intensification durable, même si ce choix n’est pas explicite [4].
Pour construire la confiance de l’ensemble des parties prenantes, il convient également que la méthode de calcul du score soit transparente, publique et reproductible.
Entendons-nous bien : compte tenu des limites de la science, et des controverses décrites ci-dessus, l’affichage environnemental comporte des choix de valeurs, c’est inévitable. Rien de grave à cela, si les choix de valeurs sont explicites et transparents, et que le calcul du score peut être reproduit. Autrement dit, les paramètres d’entrée qui permettent de calculer le score doivent être clairement listés et identifiés ; les formules de calcul permettant d’aboutir au score final doivent être publiques. En l’absence de cette information, quelle confiance peut-on avoir dans le résultat ? Quelle transparence ?
A ce jour, la méthodologie de calcul de l’écoscore est publiée, disponible sur internet et par conséquent reproductible. Concernant le Planet-Score, la méthodologie n’est pour l’instant pas disponible et par conséquent non reproductible. Elle devrait l’être cet été, comme annoncé par le collectif. Nous l’attendons avec impatience, pour pouvoir évaluer sa cohérence et sa robustesse scientifique.
Références
[1] B. M. Campbell et al., « Agriculture production as a major driver of the Earth system exceeding planetary boundaries », Ecology and Society, vol. 22, no 4, 2017, doi: 10.5751/ES-09595-220408.
[2] EAT Lancet commission, « Adapted summary of the Commission Food in The Anthropocene: the EAT-Lancet Commission on Healthy Diets From Sustainable Food Systems », 2019. [En ligne]. Disponible sur: https://eatforum.org/content/uploads/2019/07/EAT-Lancet_Commission_Summary_Report_French.pdf
[3] X. Poux et P.-M. Aubert, « Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine. Enseignements d’une modélisation du système alimentaire européen ». IDDRI, septembre 2018. [En ligne]. Disponible sur: https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Etude/201809-ST0918-tyfa_1.pdf
[4] L. Brimont et M. Saujot, « Affichage environnemental alimentaire : révéler les visions pour construire un compromis politique », IDDRI, 08/21, 2021.
Membre du Comité consultatif technique du PEF (Product Environmental Footprint).
Membre du comité des partenaires de l’affichage environnemental