Climat & biodiversité : le nouveau risque systémique des entreprises

Alors que la moitié du PIB mondial dépend directement de la nature, les entreprises découvrent que la crise du vivant n’est plus un enjeu environnemental, mais un risque stratégique majeur. Sécheresses, pollinisateurs en déclin, forêts affaiblies, ruptures d’approvisionnement : les signaux s’accumulent. Or les plans climat “carbone-only” génèrent souvent des effets rebond ou de la mal-adaptation. Face à ce nouveau risque systémique, une seule voie se dessine : intégrer climat et biodiversité au cœur des modèles d’affaires, en s’appuyant sur des solutions fondées sur la nature.
Plus de 50 % du PIB mondial dépend de la nature : sols fertiles, eau douce, pollinisation, forêts, ressources halieutiques, molécules naturelles utilisées en pharmacie ou cosmétique (WEF 2020) (Figure 1). Or ces services écosystémiques se dégradent rapidement : la biodiversité recule de 2 à 6 % par décennie (IPBES 2019), et la France n’y échappe pas. Les oiseaux des milieux agricoles ont perdu 30 % de leurs effectifs en trente ans (Fontaine 2020) tandis que les pollinisateurs s’effondrent sous l’effet combiné du climat, des pesticides et de la perte d’habitats.

Un risque stratégique pour les entreprises
Cette dégradation n’est plus un enjeu environnemental : c’est un risque opérationnel, financier et stratégique.
La canicule de 2022 en France a entraîné –30 % de rendement sur le maïs (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire (MASA) 2022), des restrictions d’eau dans plus de 2 000 communes françaises (IGEDD 2023), et une production hydroélectrique en baisse de 15 % (RTE 2023). En Allemagne, le Rhin trop bas a stoppé la navigation commerciale, paralysant l’industrie chimique (Reuters 2022). Dans les forêts françaises, les dépérissements liés au stress hydrique et aux ravageurs explosent (ONF 2024).
Dans les océans, 14 % des coraux ont disparus entre 2009 et 2019 (Souter 2021) menaçant pêche, tourisme et protection côtière.
Le changement climatique agit comme un accélérateur de ces pressions, modifiant les cycles de reproduction, perturbant la disponibilité en eau et dégradant les infrastructures naturelles qui soutiennent nos économies. L’IPBES et le GIEC l’affirment dans un rapport commun : « On ne peut pas stabiliser le climat sans protéger la biodiversité, ni protéger la biodiversité sans stabiliser le climat » (Pörtner 2021).
Des risques désormais documentés pour les entreprises

Risques physiques. Sécheresses, incendies, inondations, vagues de chaleur et pénuries d’eau perturbent déjà les chaînes de valeur.
Dépendances critiques. 75 % des cultures dépendent de la pollinisation (IPBES 2016). 50 % des médicaments proviennent de molécules naturelles (WHO 2025).
Risques réglementaires. Pour les entreprises qui y sont soumises, la CSRD, la taxonomie, et le CSDDD imposent de mesurer précisément les dépendances et impacts sur la nature.
Risques financiers. Les flux économiques nuisibles au vivant représentent 5 300 Md$ par an ((IPBES) 2019). Les institutions financières réallouent déjà leurs portefeuilles.
Risques réputationnels. Les consommateurs demandent des chaînes d’approvisionnement plus robustes, traçables, alignées avec les limites planétaires.
Le piège des « fausses bonnes idées » : la mal-adaptation
Face à ces risques, certaines stratégies climatiques isolées aggravent la situation. Le GIEC parle de mal-adaptation : une action prétendument climatique qui augmente en réalité la vulnérabilité des écosystèmes, des entreprises ou des territoires.
Le cas le plus emblématique est celui des bioénergies.
Selon Science (Fang et al. 2022), les scénarios climatiques reposant fortement sur les cultures énergétiques (ex. RCP2.6) engendrent davantage de pertes de biodiversité qu’ils n’apportent de bénéfices climat. En France, les monocultures forestières fragilisées lors des sécheresses et des incendies en Gironde illustrent également les limites des approches « carbone-only ».
Passer d’une logique carbone à une logique « nature & climat »
Les Solutions fondées sur la Nature (ou Nature-based Solutions – NbS), définies par l’UICN (IUCN 2020), offrent une réponse structurante. Elles permettent de stocker du carbone, d’adapter les entreprises aux risques physiques et de restaurer les écosystèmes.
Exemples :
- Restaurer les zones humides pour réduire les inondations (cas de la Loire).
- Reconstituer les haies bocagères pour stabiliser les sols et protéger les cultures (Boinot et al. 2023).
- Renaturer les rivières pour sécuriser l’eau industrielle (Seine-Amont).
- Restaurer les mangroves pour protéger les infrastructures côtières (WRI 2023) – voir Figure 3.
Selon (OECD 2019), chaque dollar investi dans la restauration écologique génère 4 à 30 dollars de bénéfices économiques, sous forme de moindres risques, de stabilité d’approvisionnement et de services écosystémiques renforcés.

Le coût de l’inaction
L’économie mondiale repose sur un socle naturel qui s’effrite (Figure 4). L’IPBES estime que 55 % du PIB mondial (58 0000 milliards de dollars d’activité) dépendent aujourd’hui directement des écosystèmes (IPBES 2024). Chaque année, les effets néfastes coûtent 25 000 milliards de dollars de coûts externes s’accumulent : pollution, perte de fertilité des sols, épuisement des ressources et impacts sanitaires non comptabilisés dans les prix.
À cela s’ajoutent deux dynamiques financières qui aggravent la facture, année après année. Les flux privés orientés vers des activités nuisibles à la nature atteignent 5 300 milliards de dollars par an (IPBES 2024), tandis que les États consacrent 1 700 milliards de dollars annuels à des subventions dommageables, notamment dans l’énergie et l’agriculture (IPBES 2024). Une équation simple en ressort : tant que ces montants colossaux alimentent l’inaction, les risques économiques continueront mécaniquement de croître.

Conclusion
Pour les entreprises, investir dans le vivant est désormais un enjeu clé.
Les modèles fondés uniquement sur la décarbonation sont insuffisants et risquent d’engendrer de la mal-adaptation. Les entreprises qui réussiront seront celles qui intégreront la nature au cœur de leur stratégie, au même titre que l’IA, l’énergie, la cybersécurité ou la supply chain.
Dans un monde où les limites planétaires deviennent des contraintes économiques réelles, protéger le vivant, c’est protéger la performance, la résilience et la souveraineté des entreprises.
Références
(IPBES), Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. 2019. The global assessment report on biodiversity and ecosystems services.
Boinot, Sébastien, Cendrine Mony, Guillaume Fried, Aude Ernoult, Stéphanie Aviron, Claire Ricono, Eloïse Couthouis, and Audrey Alignier. 2023. ‘Weed communities are more diverse, but not more abundant, in dense and complex bocage landscapes’, Journal of Applied Ecology, 60: 4-16.
Fang, Zhongxiang, Wenmin Zhang, Martin Brandt, Abdulhakim M. Abdi, and Rasmus Fensholt. 2022. ‘Globally Increasing Atmospheric Aridity Over the 21st Century’, Earth’s Future, 10: e2022EF003019.
Fontaine, B.; Moussy, C.; Chiffard-Carricaburu, J.; Dupuis, J.; , Corolleur, E.; Schmaltz, L.; Lorrillière, R.; Loïs, G.; Gaudard, C. 2020. « SUIVI DES OISEAUX COMMUNS EN FRANCE – Résultats 2019 des programmes participatifs de suivi des oiseaux communs. » In. Paris, France: MNHN, OFB, LPO.
IGEDD. 2023. « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022. » In.
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———. 2019. Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, Brondízio, E. S., Settele, J., Díaz, S., Ngo, H. T. (eds). (Zenodo: IPBES secretariat, Bonn, Germany).
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Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire (MASA). 2022. « Agreste Conjonctures – Grandes cultures – La récolte de maïs grain la plus faible depuis 1990. » In.
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Pörtner, H.O.; Scholes, R.J.; Agard, J.; Archer, E.; Arneth, A.; Bai, X.; Barnes, D.; Burrows, M.; Chan, L.; Cheung, W.L.; Diamond, S.; Donatti, C.; Duarte, C.; Eisenhauer, N.; Foden, W.; Gasalla, M. A.; Handa, C.; Hickler, T.; Hoegh-Guldberg, O.; Ichii, K.; Jacob, U.; Insarov, G.; Kiessling, W.; Leadley, P.; Leemans, R.; Levin, L.; Lim, M.; Maharaj, S.; Managi, S.; Marquet, P. A.; McElwee, P.; Midgley, G.; Oberdorff, T.; Obura, D.; Osman, E.; Pandit, R.; Pascual, U.; Pires, A. P. F.; Popp, A.; Reyes-García, V.; Sankaran, M.; Settele, J.; Shin, Y. J.; Sintayehu, D. W.; Smith, P.; Steiner, N.; Strassburg, B.; Sukumar, R.; Trisos, C.; Val, A.L.; Wu, J.; Aldrian, E.; Parmesan, C.; Pichs-Madruga, R.; Roberts, D.C.; Rogers, A.D.; Díaz, S.; Fischer, M.; Hashimoto, S.; Lavorel, S.; Wu, N.; Ngo, H.T. . 2021. « IPBES-IPCC co-sponsored workshop report on biodiversity and climate change. » In.: IPBES and IPCC.
Reuters. 2022. ‘Why low water levels on the Rhine river hurt Germany’s economy’. https://www.reuters.com/business/environment/why-low-water-levels-rhine-river-hurt-germanys-economy-2022-08-15/.
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Souter, D., Planes, S., Wicquart, J., Logan, M., Obura, D., Staub, F. (eds). 2021. « Status of coral reefs of the world: 2020 report. » In.: Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN) and International Coral Reef Initiative (ICRI).
WEF. 2020. « Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy. » In.
WHO. 2025. ‘Biodiversity’. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/biodiversity.
WRI. 2023. ‘Community Lessons for Successful Nature-Based Solutions Implementation’, Accessed 25 November 2025. https://www.wri.org/update/community-lessons-successful-nature-based-solutions-implementation.
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