Retour sur la soirée « entreprises et biodiversité » aux Mines Paris.
Le 10 décembre 2024
Par Anne-Claire Asselin
Avec mon comparse Emmanuel Garbolino, nous avons tenté, en 1h30 de dessiner un panorama des enjeux, opportunités et limites pour les entreprises, afin prendre à bras le corps le sujet de la biodiversité.
Quelques points introductifs
Comparé au climat, le sujet de la biodiversité est complexe. Car il est local, et il nécessite de prendre en compte l’ensemble des chaines de valeur.
L’enjeu de la dépendance parle aux COMEX, comme le mentionne Agnès Hallosserie. Pour une entreprise comme Michelin, la dépendance à la biodiversité est majeure : les pneumatiques sont composés à 21% de caoutchouc naturel, issue de l’hévéa. La préservation de cette ressource et l’amélioration des pratiques pour la rendre plus vertueuse sont clés. Aussi Michelin a pris des engagements depuis 2018, renouvelé et renforcés en 2024, sur la production de cette ressource à moindre impact pour les écosystèmes.
Pour que les entreprises se mettent en action, il faut de la transparence, et des incitations financières. La transparence est bien établie dans la cible 15 de l’accord de Kumming Montréal, et décliné au niveau européen dans (une partie de) la CSRD. David Magnier signale cependant que la CSRD, même si elle structure le reporting extra-financier, ne propose en général pas d’indicateurs pour mesurer les trajectoires. Seul, 20% des indicateurs sont prescriptifs. Reporter sur la biodiversité pose encore des questions sur la nature et la comparabilité, faute d’homogénéité des KPIs.
Retour sur la COP16
Nous avons fait un zoom sur la COP16, dont le retour est mitigé. L’analyse d’Agnes Hallosserie est que les Etats, qui sont les parties prenantes aux négociations des COP, ont du mal à se saisir des enjeux des entreprises, dont le rôle dans la transition est pourtant majeur. Ils ont en particulier du mal à formuler des solutions impliquant les financements privés. Des concepts tels que PPP (Public Private Partnerships) ou « blended finance, » sont nécessaires, mais peu/mal appréhendés à ce stade par les négociateurs officiels des COPs. Il faut pourtant 200 Md$ par an.
Rôle de la règlementation
Les entreprises doivent s’organiser pour mettre en place cette séquence, et la règlementation doit les y aider. Lina Dechamp souligne la nécessité d’une règlementation stable dans le temps en citant l’exemple de la directive déforestation. Cette directive a nécessité chez Michelin des efforts d’organisation, de traçabilité considérable, mais la société était au rendez-vous… Quand, au dernier moment, la directive est repoussée, la société perd l’avantage de champion qu’elle avait réussi à créer, et elle se trouve dans l’incapacité de valoriser ces efforts. Elle perd son « first leader advantage » ? Par ailleurs, cette directive a été surtransposée par certains pays d’Europe, suscitant, de la part de certaines entreprises, des préférences pour orienter les importations vers les pays d’entrée européens les moins-disant. On ne se trouve plus face à des distorsions de concurrence entre les pays d’Europe.
Il faut ainsi inventer des nouveaux modèles d’échange entre les états et les entreprises. Permettre aux entreprises championnes et aux états de dialoguer pour trouver des réglementations efficaces et pérennes. Agnès Hallosserie cite le « Roquelaure entreprises & biodiversité », comme une initiative prometteuse.
Quelles sont les clés ?
La finance est un acteur clé pour valoriser les mesures prises par les entreprises, en s’appuyant sur la transparence accrue. A la lecture des rapports extra-financiers des entreprises, les investisseurs sont en mesure d’évaluer les risques et les menaces qui pèsent sur chacune d’elles, et de fournir des financements à moindre coût aux plus vertueuses. Ce levier est majeur pour mobiliser les financements colossaux évoqués dans l’accord de Kumming-Montréal.
Pour David Magnier, les entreprises doivent fournir des efforts pour réduire leurs impacts, suivant la séquence ERC (« Eviter, Réduire, Compenser », appelée aussi « Mitigation Hierarchy »). Cela consiste aussi à mettre en cause leurs produits et les usages de ceux-ci. En clair, le produit est-il utile à la société, et à quel niveau ? l’alimentation est plus nécessaire que la distribution automatique de croquettes pour chien avec reconnaissance faciale (oui oui!).
Les crédits/certificats biodiversité
Quelques soient les efforts, les entreprises auront toujours un impact résiduel sur la biodiversité, et in fine devront agir pour contrebalancer cet impact résiduel. On arrive alors au ‘C’ de la séquence ERC.
Des mécanismes, appelés « certificats » plutôt que « crédits », se mettent en place, comme celui de l’IAPB (International Advisory Panel on Biodiversity Credits). De façon générale, la compensation doit se faire au niveau du territoire et sur des types d’usage des terres comparables : si on détruit une prairie, il faut régénérer une prairie sur le même territoire. Pour Agnès Hallosserie, la mise en place des mécanismes doit se faire au niveau des Etats, pour prendre en compte la cohérence territoriale des politiques. C’est à chaque état de définir ce qu’il appelle « maintien » ou « restauration » de la biodiversité, ainsi que les modalités de financement, de contrôle et d’accompagnement des opérations.
Selon l’IDDRI, les mécanismes de compensations ne constituent pas la part majoritaire de l’effort à faire pour restaurer la biodiversité. La motivation principale pour les entreprises, en tout cas en Europe, doit venir de la transparence et de la mobilisation du monde de la finance.
En finir avec les subventions néfastes
Toute cette discussion ne doit pas faire oublier qu’une partie du problème réside également dans les subventions néfastes à la biodiversité (estimées à 500 Md $ par an), qui doivent de toute urgence cesser pour éviter de creuser encore le déficit de l’humanité.
Membre du Comité consultatif technique du PEF (Product Environmental Footprint).
Membre du comité des partenaires de l’affichage environnemental