Les Odyssées marines
🌍🦐🪸La pêche et l’aquaculture dans le monde🪼🌿🌍
Par Joséphine Gatin et Anna Yildiran
Bienvenue dans notre troisième épisode des Odyssées Marines !
Nous allons cette fois-ci explorer le monde de la pêche et de l’aquaculture. Envie de découvrir les ordres de grandeurs sur la pêche dans le monde ? Comprendre comment les océans sont gérés au niveau international ? Cet épisode est fait pour toi !
Pour commencer, voici quelques définitions clés :
▶️ La pêche de capture désigne quant à elle toutes les formes de récolte de ressources vivantes naturelles dans les milieux marins et d’eau douce [1].
▶️ L’aquaculture désigne l’élevage d’organismes aquatiques tels que les poissons, les mollusques, les crustacés et les plantes aquatiques [2].
La gestion des océans, comment ça fonctionne ?
Les océans n’ont pas de frontières distinctes, et la gestion de ressources aussi vastes et partagées nécessite une certaine organisation. C’est pourquoi, au cours de l’histoire, des systèmes de gouvernance ont été mis en place pour gérer les océans et les mers et les diviser en unités juridictionnelles plus petites. Voici les principaux concepts gouvernance tels qu’ils sont en vigueur aujourd’hui :
👉 La Convention des Nations unies sur le droit de la mer – CNUDM (adoptée en 1982 et mise en application en 1994), souvent connue sous le nom de ‘Montego Bay’ constitue le cadre juridique global qui régit l’utilisation des mers et des océans du monde, la délimitation des espaces maritimes, la souveraineté des États côtiers, ainsi que la protection et la gestion durable des ressources marines. C’est par exemple ce traité international qui définit les zones économiques exclusives [3].
👉 La zone économique exclusive (ZEE) est une zone spécifique s’étendant jusqu’à 200 milles marins (environ 370 kilomètres) à partir du littoral d’un pays. Dans cette zone, l’État côtier a le droit d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles présentes à la fois dans la bande de mer et dans le sol (), y compris les stocks halieutiques et les minéraux sous-marins. L’exploitation y est exclusive : aucun autre pays ne peut exploiter ces ressources sans l’autorisation de l’État côtier [4]. Il est important à noter que, bien que la ZEE soit limitée à 200 milles marins, le plateau continental peut parfois s’étendre jusqu’à 350 milles marins. La ZEE a une définition juridique précise établie par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui reconnaît les droits souverains de l’État sur cette zone [4]. La ZEE permet aux pays de protéger leur environnement marin ainsi que leurs intérêts économiques [5].
👉 La zone située au-delà des 200 milles marins est appelée « haute mer » et sa gouvernance n’est pas strictement définie par la CNUDM. Différentes organisations et traités internationaux gèrent les ressources océaniques et les activités humaines dans ces zones situées au-delà de la juridiction nationale de tout État. Malgré ces différents organes de gouvernance, il n’existe aucun instrument permettant de coordonner les actions entre les zones géographiques et les secteurs, ce qui entraîne des lacunes et des chevauchements de juridictions. Par exemple, au large de l’Atlantique Nord-Ouest, la gestion des stocks de flétan se fait à la fois dans la ZEE canadienne et dans la haute mer régie par l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (NAFO) — ce qui a conduit dans les années 1990 à la fameuse « guerre du turbot », où des patrouilles canadiennes ont saisi des navires européens au motif du respect des quotas, provoquant un incident diplomatique majeur [6].
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👉 Les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) sont des organismes internationaux qui établissent des réglementations visant à conserver et à gérer les espèces de poissons qui sont présentes dans des eaux partagées par plusieurs pays. Les ORGP se divisent en deux grands groupes : celles qui se concentrent sur les espèces hautement migratoires, essentiellement les espèces de thons, appelées « ORGP thonières », et celles qui gèrent d’autres ressources halieutiques dans une zone géographique spécifique, notamment les espèces pélagiques (en eau libre) et démersales (vivant au fond de l’eau).
Ces ORGP fonctionnent selon un même modèle mais sont souvent assez hétérogènes dans leurs moyens opérationnels [8]. Elles fixent des règles contraignantes telles que les totaux admissibles de captures (TAC), les restrictions techniques et spatio‑temporelles, et mettent en place des dispositifs de surveillance, contrôle et observateurs à bord [9]. Certaines ORGP incluent des ZEEs. Dans ce cas, les États côtiers restent souverains sur ces zones mais établissent des accords avec ces ORGP. Les types d’accords conclus avec les États côtiers incluent des protocoles de coopération et des mandats pour appliquer des mesures de l’État du port, ce qui permet d’harmoniser les mesures de conservation, de partager des données scientifiques, et de coordonner les efforts de contrôle pour lutter contre la pêche illégale [10].
Le saviez-vous ? L’UE, représentée par la Commission, joue un rôle clé au sein des deux catégories d’ORGP : elle participe activement à 5 organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) thonières et à 13 ORGP non thonières, ce qui en fait l’un des principaux acteurs mondiaux dans ce domaine [11]. |
En résumé :
Figure 1 : Les Zones selon la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer [12]. (PCP : Politique Commune des Pêches)
Un découpage pratique à des fins statistiques
À des fins statistiques, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a établi les principales zones de pêche de la FAO. Ces 27 régions (8 intérieures et 19 maritimes) ne sont pas définies en fonction de frontières politiques, mais plutôt en fonction d’une combinaison de caractéristiques naturelles, de zones écologiques et de pratiques de pêche. Elles contribuent à normaliser la collecte de données entre les pays et les océans, ce qui permet d’établir des comparaisons à l’échelle mondiale [13].
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Nous utiliserons les données FAO et donc ce découpage des eaux mondiales par la suite pour vous proposer des ordres de grandeur sur la pêche et l’aquaculture. |
Et concrètement pour un navire de pêche, comment cela se passe-t-il ?
Les navires en activité (y compris les navires de pêche) doivent être immatriculés dans un pays et hisser le pavillon de leur État d’immatriculation. L’État du pavillon a une juridiction exclusive sur le navire, quel que soit son emplacement, et est responsable du respect par le navire des normes de sécurité, environnementales et de travail. En contrepartie, les navires doivent respecter les lois et les normes du pays dont ils battent pavillon. Dans les zones où ils pêchent, les navires sont également soumis aux règlementations des ORGP en Haute-mer ou des pays souverains dans les ZEE.
L’État du pavillon régit l’identité juridique d’un navire, mais pas nécessairement son rayon d’action géographique. Par exemple, la pêche nécessite des permis en vertu du droit international et local, qui peuvent être accordés à tout navire, quel que soit son État de pavillon.
Figure 2 : Différents types de cadres juridiques auxquels les navires sont soumis via leur pavillon
Le système des États du pavillon permet ainsi aux navires d’opérer sous la juridiction d’un pays autre que celui de leur propriétaire ou de leur opérateur.
Bien que ce système semble équitable, il conduit souvent les pays à choisir des États dont la réglementation est moins stricte, dont les contrôles sont moins rigoureux. C’est ce que l’on appelle le « pavillon de complaisance » (FOC – Flag of Convenience). Cette pratique concerne surtout les navires de grande taille et à forte valeur commerciale, car l’immatriculation sous pavillon de complaisance permet de réduire les coûts (fiscalité, droit du travail, normes de sécurité et environnementales).
Environ 73 % des navires battent pavillon de complaisance ; le Panama, le Libéria et les Îles Marshall étant les principaux États du registre. Cela conduit à des incohérences entre lieux d’établissement des armateurs et lieux d’immatriculation de leurs navires [15] [16] [17].
En 2018, les principaux pays propriétaires de navires étaient la Grèce, le Japon, la Chine, les États-Unis et la Norvège, tandis que les principaux registres de pavillon restaient le Panama, les Îles Marshall et le Libéria. |
Alors la pêche et l’aquaculture dans le monde, ça dit quoi ?
Après avoir abordé ces quelques concepts clés sur les gouvernances des océans, plongeons-nous dans les données mondiales sur la pêche. Quels sont les principaux pays pêcheurs ? Quels sont les volumes pêchés chaque année, dans quelles zones du monde ? Que représente l’aquaculture dans la production mondiale de produits de la mer ? Quels sont les principales espèces pêchées ?
Autant de question auxquelles nous répondrons à partir des données de référence de la FAO sur la pêche et l’aquaculture (publiées en 2024) [18]. Les données sont renseignées par pavillon des navires de pêche en masse de produit vif (comprenant le poids de la peau, la tête et les viscères pour les poissons ou des coquilles pour les mollusques). Ces données n’incluent pas les productions issues de la pêche pêche illégale dite ‘illicite, non déclarée et non réglementée (INDNR ou INN). La FAO estime que la pêche INDNR représente environ 20% des captures mondiales [19].
Poissons, crustacés et mollusques🐡🐠🦐🦑
Pêche et aquaculture : qui sont les plus gros pêcheurs ?
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En 2022, la Chine domine à la fois la pêche de capture et l’aquaculture, son influence étant particulièrement forte dans l’aquaculture, où elle représente 56 % de la production mondiale. NB : Les données sont présentées selon le pavillon des navires, c’est-à-dire le pays dans lequel ils sont immatriculés. Certains navires utilisent des pavillons de complaisance, s’enregistrant dans un autre pays que celui de leur propriétaire. Toutefois, ces pratiques restent marginales dans le secteur de la pêche, car les navires de pêche sont soumis à de nombreuses réglementations strictes dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. |
Figure 3 : Répartition de la capture et de l’aquaculture mondiales en 2022 par pays, en pourcentage de la masse (équivalent poids vif) |
Quelles sont les principales zones de production ?
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Près de 46 % des volumes de pêche de capture a lieu dans l’océan Pacifique. Il s’agit en effet du plus vaste océan sur Terre, il couvre environ 45 % de la surface totale des océans [20]. Plus de la moitié de l’aquaculture en revanche a lieu dans les eaux intérieures asiatiques (58,3 %), suivies par l’océan Pacifique avec environ 30 %, en cohérence avec la géographie des principaux producteurs en aquaculture qui se trouvent majoritairement dans ces deux zones. |
Figure 4 : Répartition de la capture et de l’aquaculture mondiales en 2022 par zone FAO, en pourcentage de la masse (équivalent poids vif) |
Les tendances sur les dernières années
Figure 5 : Évolution de la production mondiale de poissons et fruits de mer
Au cours de la dernière décennie, la production de la pêche de capture déclarée a légèrement diminué tandis que celle de l’aquaculture a augmenté. En 2022, pour la première fois, les volumes d’élevages en aquaculture ont dépassé les volumes de pêche de capture pour les espèces de poissons, crustacés et mollusques, même si la répartition reste encore proche d’un équilibre 50%-50%.
Quelles espèces sont les plus pêchées ?
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Parmi les espèces spécifiquement déclarées en pêche de capture, on retrouve en premier lieu l’anchois du Pérou : c’est le plus gros stock de poisson au monde, et il a une capacité de reproduction très élevée du fait de son cycle de vie court. On retrouve ensuite des espèces bien connues comme le colin d’Alaska (Gadus chalcogrammus), le thon listao (Katsuwonus pelamis), le hareng (Clupea harengus) ou encore le thon Albacore (Thunnus albacares). Les principales espèces aquacoles produites au niveau mondial sont la crevette à pattes blanches (Litopenaeus vannamei), les huîtres (Crassostrea spp.), la carpe de roseau (Ctenopharyngodon idella), la carpe argentée (Hypophthalmichthys molitrix) et le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus). En 2022, les déclarations auprès de la FAO de près de 16 % des espèces sauvages capturées étaient faites dans la catégorie générique « non classés ailleurs » (NEI). |
Figure 6 : Répartition de la capture et de l’aquaculture mondiales en 2022 par espèce, en pourcentage de la masse (équivalent poids vif) |
Autres espèces 🌿🪸🐳🦭
Si l’immense majorité des produits de la mer consommés sont des poissons, crustacés ou mollusques, l’océan regorge d’autres espèces et notamment des algues.
La production d’algue ne se résume pas aux quelques feuilles nori que nous dégustons de temps en temps dans des sushis. Leur usage est bien plus vaste !
Dans certains pays comme le Japon, elles sont largement consommées sous différentes formes : fraîches, séchées, en soupes, en salade, en snack, etc.
Elles sont également omniprésentes dans l’industrie agroalimentaire souvent cachées sous forme d’additifs comme l’agar-agar, les carraghénanes ou les alginates qui servent d’épaississants, de gélifiants et de stabilisants dans produits comme les yaourts ou les glaces.
Les algues sont aussi prisées dans les compléments alimentaires pour leur richesse en protéines, minéraux et vitamines. Pensez à la spiruline par exemple !
Elles trouvent aussi d’autres usages non liés à la consommation humaine :
🧫Les industries cosmétiques et pharmaceutiques extraient des molécules d’intérêt des algues pour leurs propriétés hydratantes ou antioxydantes par exemple
🧑🌾En agriculture elles servent d’engrais naturels et de biostimulants, elles peuvent même être utilisées pour l’alimentation animale.
Figure 7 : Évolution de la production mondiale de poissons et d’algues
Au cours de la dernière décennie, la production d’algues a augmenté de presque 25% atteignant une production totale de 37,76 millions de tonnes en 2022. Elle représente 16,9% de la production totale de produits de la mer (pêche et aquaculture) sur cette année-là.
Les algues peuvent être à la fois récoltées à l’état sauvage et cultivées, selon les espèces et les usages. La récolte sauvage se fait principalement sur les côtes, de manière manuelle ou mécanisée [21].
La figure à droite présente quelques données illustrant la diversité biologique, les usages alimentaires et l’importance de l’aquaculture dans la production mondiale d’algues [22].
Figure 8 : Données clés sur la diversité, l’utilisation et la production des algues
Quels sont les pays qui récoltent le plus d’algues ?
Figure 9 : Principaux pays pour la capture et l’aquaculture de plantes aquatiques en 2022 (masse en tonnes, équivalent poids vif)
Une fois de plus, la Chine est de loin le leader mondial de l’aquaculture de plantes aquatiques et l’Asie domine complètement le marché de production d’algues. Si la Chine est le principal producteur, c’est cependant l’Indonésie qui exporte le plus avec plus de 250 mille tonnes exportées en 2022 [23] quand la Chine n’en exporte ‘que’ 80 mille tonnes. Les principaux importateurs en volume en 2022 étaient la Chine (275 mille tonnes), l’Irlande (75 mille tonnes) et la France (70 mille tonnes) [23].
Des pays hors Asie comme le Chili et la Norvège produisent tout de même une part substantielle des algues sauvages récoltées mais les volumes correspondants sont très inférieurs aux volumes produits en aquaculture.
📌 L’exploitation des ressources halieutiques ne se limite pas aux poissons, crustacés, mollusques ou plantes aquatiques. D’autres espèces, bien que moins souvent mentionnées, sont également prélevées, comme les coraux, les mammifères marins ou encore les éponges. Même si leur part reste marginale, il ne faut pas négliger l’existence de ces ressources océaniques également exploitées par l’homme.
Figure 10 : La grande variété d’autres espèces dans l’océan exploitées par l’homme
Conclusion
Comme nous l’avons vu, les océans abritent une incroyable diversité de ressources marines, exploitées à travers la pêche et l’aquaculture dans un équilibre parfois fragile entre besoins humains et respect des écosystèmes. Ce vaste réseau d’activités est influencé par des dynamiques écologiques, des réglementations internationales et des pratiques régionales très variées.
Forts de ces connaissances fondamentales, nous nous intéresserons aux tendances et aux dynamiques régionales dans notre prochain épisode. Nous examinerons de plus près les tendances et les réglementations en Europe, en approfondissant la comparaison entre les industries de la pêche et de l’aquaculture du continent et celles du reste du monde.
Restez à l’écoute pour plus d’informations sur les ressources marines mondiales, et à la prochaine fois !
Sources
[1] https://www.unescwa.org/sd-glossary/capture-fisheries-capture-fishery
[2] https://www.fao.org/fishery/en/topic/16064
[3] https://www.fondationdelamer.org/wp-content/uploads/2024/10/Livret-FDM-Peche-INN-Web-2024_10_27.pdf
[4] https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
[6] https://britishseafishing.co.uk/the-turbot-war/
[7]https://fr.wikipedia.org/wiki/Haute_mer#/media/Fichier:Exclusive_Economic_Zones.svg
[8] https://www.fondationdelamer.org/wp-content/uploads/2024/10/Livret-FDM-Peche-INN-Web-2024_10_27.pdf
[10] https://www.fao.org/4/x3900e/x3900e10.htm
[11] https://www.comite-peches.fr/la-peche-francaise/les-acteurs-de-la-gestion-des-peches/
[13] https://www.fao.org/cwp-on-fishery-statistics/handbook/general-concepts/main-water-areas/en/
[14] https://www.fao.org/fishery/en/area/search
[15] https://ejfoundation.org/resources/downloads/EJF-report-FoC-flags-of-convenience-2020.pdf
[16] https://www.mitags.org/flag-vs-port-state/
[17] https://shipbreakingplatform.org/issues-of-interest/focs/
[18] https://www.fao.org/fishery/statistics-query/en/home
[19] https://www.fao.org/iuu-fishing/fight-iuu-fishing/fr/
[20] https://fr.wikipedia.org/wiki/Oc%C3%A9an
[21] https://guidedesespeces.org/fr/algues
[22] https://pepswork.com/blog/agroalimentaire-micro-algues-marche-croissance/
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